Comment passe-t-on de la magistrature à la peinture?
Un itinéraire n’est jamais complètement le fruit du hasard. Le désir est inné, profondément ancré. J’avais choisi une autre voie professionnelle… passionnante, mais qui ne laisse guère le temps de peindre! Je me consacre entièrement à la peinture depuis 10 ans. En revanche, je n’avais pas vraiment jusqu’à présent, ressenti le besoin de me montrer, d’expliquer mon travail.

Justement, comment expliquez-vous ce désir de peindre?
La peinture n’est pas pour moi une nécessité absolue ou vitale. Je pense que si je ne l’avais pas je trouverais d’autres formes d’expression. Elle reste cependant un travail très enrichissant : grâce à elle, j’ai beaucoup appris : la patience, l’humilité, la qualité du regard. La peinture permet de s’exprimer sans parler, sans écrire… Elle dit ce qui n’est « exprimable » d’aucune autre manière, cela me convient bien et c’est ce qui me justifie.

Que cherchez-vous à exprimer à travers vos œuvres?
Les couleurs de la vie… le jaillissement d’un monde transformé, une parenthèse joyeuse dans la grisaille de l’actualité quotidienne. Une envie de tendresse aussi, de poésie, et pourquoi pas d’un retour à l’enfance, sa fraîcheur, sa naïveté. Une autre façon de percevoir le monde, de privilégier la beauté et la fragilité des choses en leur donnant une âme.

Vous peignez essentiellement des villes et des portraits. Pouvez-vous expliquer ces choix?
Tout est question d’intérêt, de perception….
Je suis résolument citadine : j’aime les grandes villes. Je les trouve belles et fascinantes : les rues, les maisons, les formes et les couleurs, l’atmosphère qui s’en dégage. J’en fais des lieux de rêve. Je les voudrais multicolores, chaleureuses, musicales.
Quant aux personnages… Ce sont peut-être eux qui peuplent mes villes? J’aime les inventer, de les faire vivre, essayer de leur faire dire tout ce qu’ils m’inspirent d’humanité. Comme on prend une photo, j’essaie de fixer une expression fugace… c’est peut-être l’angoisse du temps qui passe.

Vous approchez aussi l’abstraction?
Si j’éprouve toujours au départ la nécessité de me raccrocher à une idée, je m’éloigne parfois de l’objet pour le transposer dans un monde imaginaire trouvant probablement ses racines dans mon histoire, ma mémoire. La peinture devient alors son propre sujet, la forme l’unique but esthétique.

Par exemple?…
Prenons une maison… abri symbole de stabilité et de protection… Pour moi, elle existe d’abord pour ce qu’elle est : des pierres, des murs, épais et riches d’histoire. Spontanément, je peins des agencements de carrés et de rectangles… jusqu’à remplir le vide, l’espace, le temps. Le souci esthétique est toujours présent, Je peux découper, juxtaposer, ajouter de la matière, des collages, pour donner plus de présence à l’image. Souvent j’agrandis certaines parcelles d’un tableau, pour en créer un autre qui aura sa propre autonomie. Ainsi, par ramifications et enchevêtrements, les toiles s’enchaînent et, s’éloignant de la réalité, touchent aux confins de la non- figuration.
Mes collages aussi font partie de cette continuité.

Votre peinture explore toutes les tendances… Ne craignez-vous pas de vous égarer?
La diversité ne me pose pas de problème. Je suis convaincue que c’est du « morcellement » que naît la cohérence d’une œuvre, sa logique intime et continue.

Vous usez également de toutes les techniques?
La couleur est primordiale : c’est elle qui donne tout son sens au message. Si le rouge, symbole de chaleur et de vitalité domine, mes tons ont tendance à s’adoucir. La couleur s’impose à moi au fil du tableau… Je ne la choisis pas.
Il y a aussi la matière : je peins à l’acrylique et ne me sens à l’aise qu’en jouant avec toutes sortes de matières permettant de donner consistance et transparence. Couleurs et matières sont inséparables.
Je m’autorise toutes les techniques, la peinture est un monde de liberté, mais de liberté laborieuse…

Au final, comment vous définiriez-vous en tant que peintre?
Je ne suis pas une intellectuelle de la peinture : je ne cherche ni le scandale ni la provocation et ne veux faire passer d’autre message que l’émotion. Finalement, je me considère plutôt comme un artisan, une travailleuse de la peinture, bien ancrée dans le monde moderne et qui, naturellement, suivant toujours son instinct, essaie d’approcher le Beau. Ce n’est pas un choix : je peins comme je vis…

Propos recueillis par Patricia Le Sage – Contact : le-sage.patr@wanadoo.fr